La haute muraille, on l’a dit, se dressait à une hauteur de trois cents pieds, mais le bloc était plein partout, et, même à sa base, à peine léchée par la mer, elle ne présentait pas la moindre fissure qui pût servir de demeure provisoire. C’était un mur d’aplomb, fait d’un granit très-dur, que le flot n’avait jamais rongé. Vers le sommet voltigeait tout un monde d’oiseaux aquatiques, et particulièrement diverses espèces de l’ordre des palmipèdes, à bec allongé, comprimé et pointu, — volatiles très-criards, peu effrayés de la présence de l’homme, qui, pour la première fois, sans doute, troublait ainsi leur solitude. Parmi ces palmipèdes, Pencroff reconnut plusieurs labbes, sortes de goëlands auxquels on donne quelquefois le nom de stercoraires, et aussi de petites mouettes voraces qui nichaient dans les anfractuosités du granit. Un coup de fusil, tiré au milieu de ce fourmillement d’oiseaux, en eût abattu un grand nombre ; mais, pour tirer un coup de fusil, il faut un fusil, et ni Pencroff, ni Harbert n’en avaient. D’ailleurs, ces mouettes et ces labbes sont à peine mangeables, et leurs œufs même ont un détestable goût.
L’île Lincoln (34° 57′ S, 150° 30′ O)
Jules Verne, Public domain, via Wikimedia Commons
Je viens de lire dans un fait divers de journal un drame de passion. Il l’a tuée, puis il s’est tué, donc il l’aimait. Qu’importent Il et Elle ? Leur amour seul m’importe ; et il ne m’intéresse point parce qu’il m’attendrit ou parce qu’il m’étonne, ou parce qu’il m’émeut ou parce qu’il me fait songer, mais parce qu’il me rappelle un souvenir de ma jeunesse, un étrange souvenir de chasse où m’est apparu l’Amour comme apparaissaient aux premiers chrétiens des croix au milieu du ciel.
Pierre Gémozac, l’un des princes de l’industrie du fer, et plusieurs fois millionnaire, demeurait tout près de l’usine où il avait fait fortune, sur les bords peu fleuris du canal Saint-Martin.
Il faut dire qu’il habitait un fort bel hôtel, entre cour et jardin, et que le quai de Jemmapes n’est pas très loin du centre de Paris, quand on a de bonnes voitures et d’excellents chevaux. Le voisinage bruyant des ateliers avait bien quelques inconvénients, mais le fracas des marteaux et le ronflement des machines à vapeur étaient doux à l’oreille de ce brave homme qui avait gagné des millions à construire des locomotives et qui avait commencé par être ouvrier ajusteur.
Il était près de six heures alors. La brume venait de se lever et rendait la nuit très-obscure. Les naufragés marchaient en suivant vers le nord la côte est de cette terre sur laquelle le hasard les avait jetés, — terre inconnue, dont ils ne pouvaient même soupçonner la situation géographique. Ils foulaient du pied un sol sablonneux, mêlé de pierres, qui paraissait dépourvu de toute espèce de végétation. Ce sol, fort inégal, très-raboteux, semblait en de certains endroits criblé de petites fondrières, qui rendaient la marche très-pénible. De ces trous s’échappaient à chaque instant de gros oiseaux au vol lourd, fuyant en toutes directions, que l’obscurité empêchait de voir. D’autres, plus agiles, se levaient par bandes et passaient comme des nuées. Le marin croyait reconnaître des goëlands et des mouettes, dont les sifflements aigus luttaient avec les rugissements de la mer.
Dans le vestibule et dans la cour, on entendait les cris furieux des gens du château et des curieux, — ils étaient plus de cent — que la nouvelle d’un crime avait réunis devant la grille et qui brûlaient de savoir et surtout de voir.
Ce n’étaient ni des aéronautes de profession, ni des amateurs d’expéditions aériennes, que l’ouragan venait de jeter sur cette côte. C’étaient des prisonniers de guerre, que leur audace avait poussés à s’enfuir dans des circonstances extraordinaires. Cent fois, ils auraient dû périr !
La nuit est noire ; il pleut à verse, et la pluie, fouettée par le vent, grésille sur les vitres d’une maisonnette isolée, tout au bout du boulevard Voltaire, et tout près de la place du Trône.
Pencroff et Harbert Brown (couché), illustration extraite de l’édition originale.
Jules Verne, Public domain, via Wikimedia Commons
Je demeurais à Paris, — pendant le printemps et une partie de l’été de 18.., — et j’y fis la connaissance d’un certain C. Auguste Dupin. Ce jeune gentleman appartenait à une excellente famille, une famille illustre même ; mais, par une série d’événements malencontreux, il se trouva réduit à une telle pauvreté, que l’énergie de son caractère y succomba, et qu’il cessa de se pousser dans le monde et de s’occuper du rétablissement de sa fortune. Grâce à la courtoisie de ses créanciers, il resta en possession d’un petit reliquat de son patrimoine ; et, sur la rente qu’il en tirait, il trouva moyen, par une économie rigoureuse, de subvenir aux nécessités de la vie, sans s’inquiéter autrement des superfluités. Les livres étaient véritablement son seul luxe, et à Paris on se les procure facilement.
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